Richard Serra, Jeff Koons… de grands sculpteurs pour des œuvres techniques et monumentales…
La monumentalité et les techniques associées sont-elles la base de la reconnaissance du travail de ces artistes ? Non, indéniablement, non ! la monumentalité contribue à l’aura, à la diffusion médiatique auprès d’un large public, mais ce n’est certes pas sur cela qu’est fondée la pertinence de leurs travaux! En revanche la technique contribue en grande partie à leur achèvement.
Depuis toujours l’art est indissociable de la technique. Qu’il s’agisse, j’imagine, des peintures rupestres jusqu’aux œuvres de Pierre Soulages (et au-delà), la technique a toujours adossé une volonté de représentation. L’art est donc, de ce point de vue, une pensée assujettie à sa mise en forme technique. Mais qu’en serait-il si la mise en forme prédominait sur la pensée, ou si la pensée n’était plus un prérequis mais une réflexion à postériori de la forme, comme une caution. Et si un sculpteur ou un peintre élaborait un procédé tellement stupéfiant qu’il s’impose comme une évidence, sans aucun discours. Et qu’il faille par la suite déterminer une idée qui serait sous-jacente à l’œuvre pour la désigner comme une œuvre intellectuelle, ou oeuvre d’art. Si tel était le cas, nous nous trouverions à l’exact opposé de l’art conceptuel : là où le discours prévalait sur l’œuvre, l’œuvre (sa forme physique) prévaudrait désormais sur la pensée qui l’a créée. Serait-ce d’ailleurs toujours de l’art ? Une oeuvre pourrait être obtenue froidement, mécaniquement, mais là encore la machine créée de la main de l’homme aurait pour but la création artistique, donc serait soumise à une pensée… Là où Kandinsky peignait encore des émotions musicales (à la jointure de l’Expressionisme abstrait et la naissance de l’Abstraction), Jackson Pollock ne recherchait (presque) que le hasard. Et là encore, la recherche de la beauté naturelle du hasard est la pensée qui domine la technique du dripping. Ainsi techniques et pensées semblent indissociables dans la création artistique, bien que l’on observe une fluctuation dans leurs rapports.
A partir de là, pour l’artiste d’aujourd’hui qui a découvert une technique tellement neuve qu’elle laisse chacun d’entre nous subjugué, je n’entrevois que trois possibilités : la première, rechercher la pensée qui a sous-tendu sa création ; la seconde, laisser l’œuvre vivre par elle-même, sans vouloir la désigner impérativement comme œuvre d’art ; ou la troisième faire de ce rejet de « la pensée caution artistique » un axe de travail, ce qui rejoindrait en quelque sorte une certaine idée du dadaïsme.
L’art, de fait, est toujours théorisé, catalogué. Moi-même ici, j’essaye à la frange de ce que je vois et connais de comprendre ce qui est de l’art pour moi, de comprendre ce qui est de l’art pour les gens qui entrent dans les galeries. J’essaye de comprendre ce qui plait, et ce qui fait naître une émotion. Peut-être sommes-nous tellement perclus des idées et courants du passé que nous nous sentons dans l’obligation de donner une explication intellectuelle aux oeuvres.
YaNn Perrier possède son propre chemin dans ses créations. Il l’explique volontiers par le désir de montrer et d’anoblir les fractures de la nature, de rendre beau ce qui passe inaperçu et de pérenniser ce qui est en train de disparaitre. Et il parvient à tout cela au travers de ses boules. Toutefois, je m’aperçois que le premier regard du spectateur n’est pas tourné vers la beauté de ces bois abimés, dégradés, mais toujours vers le rêve que génèrent les pièces. Comme si la pensée qui s’adosse immédiatement à la technique de YaNn Perrier n’est pas celle de l’artiste, mais naturellement celle du spectateur.
Personne n’est insensible à son travail. Et de l’écrire n’est pas une formule de galeriste, mais seulement une juste retranscription de la réalité. C’est beau. Ca fait rêver. C’est magique… Et c’est accessible à tous : que l’on soit très jeune, simplement jeune ou plus âgé, homme ou femme, de quelque origine sociale, culturelle et même géographique… tout le monde est subjugué.
Je me pose donc la question dans cet équilibre fluctuant de la pensée et de la technique si YaNn Perrier n’a pas trouvé, là, une nouvelle voie à l’art contemporain. On a vu une extrême où la pensée peut supplanter totalement une œuvre avec l’art conceptuel (lorsque par exemple, une fiche descriptive jouxte une œuvre n’existant physiquement pas (Sol LeWitt)) ; on côtoie depuis des siècles l’équilibre entre les deux avec par exemple l’invention de la peinture à l’huile par Jan Van Eyck au XIV° siècle ou les règles de l’optique à la même époque en Italie (les deux contribuant à une représentation « réaliste » du monde… mais bien avant cela avec la taille de la pierre, ou la fusion du bronze, et bien après avec l’usage des polymères dans la sculpture ; et puis naturellement j’imagine ce nouveau terrain ou l’œuvre n’est pas le fruit d’une pensée, mais le réceptacle des pensées. Une machine à rêver. Comme si l’œuvre se fait le support de nos états d’âmes… avec les œuvres de YaNn Perrier, l’artiste s’efface au profit du spectateur. Il offre la nature dans son plus bel appareil, ajoute quelques artifices pour nous dire que c’est beau, tout juste et tout simplement. Il ouvre une brèche dans notre perception de ce qui ne doit pas être de l’art et nous montre que cela, en réalité, en est (la nature)… Il construit un verre grossissant sur ce qui existe déjà et nous le montre. Il crée un écrin pour ce que nous avons sous les yeux. Tout cela joue avec notre imagination.
Ce n’est peut-être pas un choix délibéré de la part de l’artiste. Néanmoins pour moi qui suis confronté aux regards et aux paroles des spectateurs, je suis obligé de constater que les boules de YaNn Perrier sont autre chose que ce que nous avons vu jusqu’à présent. Elles sont en dehors de l’Histoire de l’Art. Peut-être viennent-elles défricher un nouveau terrain de la création ? En tout état de cause, chacun se les approprie viscéralement sans autre filtre que sa propre histoire. Et ça c’est digne des oeuvres d’Art !